Dans cet article publié le 14 avril 2018 sur le site du GIESCO, Alain Carbonneau(1) pose la question de la réorganisation de nos vignobles permettant de répondre aux nouveaux défis sociétaux de la viticulture.
La viticulture durable est devenue une priorité pour toutes les régions viticoles face à la pression sociétale et aux contraintes de l’environnement. Parmi les mesures souhaitables, il y a la lutte biologique avec l’utilisation première de la faune auxiliaire. Cette dernière est hébergée par des plantes arbustives ou herbacées, et leur intégration dans les vignobles modifie à la fois le micro-environnement et aussi le paysage. Aussi la question est-elle « l’avenir est-il au bocage viticole ? », sachant que majoritairement les vignobles occupent des espaces homogènes dans le cadre d’une monoculture ; par exemple, la plaine du Languedoc, les plateaux de la vallée du Rhône, le Haut Médoc, les côtes bourguignonnes, alsaciennes ou champenoises…
Sur le fond du problème il convient de rappeler que la préservation de certains auxiliaires est particulièrement efficace, avec l’exemple-phare des typhlodromes vis-à-vis des araignées microscopiques. La biodiversité floristique à proximité immédiate des parcelles de vigne est souvent liée à une biodiversité faunistique, et l’association de certaines espèces est particulièrement utile. La lutte biologique consiste d’abord à établir des haies autour des parcelles de vignes avec des bordures végétalisées. Ces écosystèmes (figure 1) peuvent comporter aussi des murs ou des tas de pierres sèches, des talus, des bandes herbeuses, des tournières, des ourlets, des arbres isolés… Les espèces arbustives qui semblent héberger beaucoup de ces auxiliaires sont : le noisetier et l’aubépine (souvent cités), et aussi le chêne pédonculé, le saule blanc, le tilleul, l’aulne, le cornouiller, le sureau, le charme. D’autres espèces sont éventuellement intéressantes comme le lierre, l’ajonc…
Afin d’encourager la pénétration de la faune utile au cœur des parcelles, il est aussi hautement recommandable de maîtriser une présence d’herbes entre les rangs de vignes notamment, grâce en particulier à un enherbement naturel maîtrisé au sein duquel les espèces dicotylédones aux feuilles plus attractives que les graminées monocotylédones sont à favoriser (par exemple certains trèfles peuvent être aussi installés sous le rang). Ainsi ce mode de gestion du sol combine beaucoup d’avantages : lutte biologique, frein à l’érosion, amélioration de la portance, de la structure et de la matière organique du sol.
Même les zones relativement sèches sous climat méditerranéen (figure 2) peuvent être gérées de cette façon, à condition de maîtriser la concurrence pour l’eau et l’azote, en utilisant des espèces à cycle court ou peu concurrentielles, et d’être prêt en début d’un été qui s’annonce trop sec à détruire l’enherbement en passant des griffes. Dans les zones très sèches obligatoirement irriguées, la combinaison de l’enherbement et de l’irrigation est une solution optimale, sachant que le surcroît d’arrosage est le prix à payer à la durabilité : mais, par exemple, ne vaut-il pas mieux cela que d’utiliser massivement des insecticides contre les vers de la grappe dans des zones à monoculture viticole intensive ?
Quelles sont les conséquences de l’introduction d’un environnement végétalisé dans les vignobles ? Au niveau du microclimat, le bilan hydrique doit être pris en considération et il est clair qu’il faut maintenir quelques mètres d’éloignement entre les rangs de vignes de bordure et les haies ou espaces végétalisés, ce qui conduit à une petite perte d’espace valorisé. Cependant, la concurrence entre des espèces arbustives notamment et les vignes ne doit pas être exagérée. En effet, un des enseignements des essais d’agroforesterie viticole du domaine de Restinclières au nord de Montpellier (essais hélas mal valorisés faute de moyens !), a été que pendant au moins une dizaine d’années, les vignes ne subissent pas de concurrence des lignes d’arbres intercalées si elles sont plantées en même temps, car l’enracinement de la vigne est plus rapide. Notons au passage que l’agroforesterie viticole est d’abord conçue en fonction des besoins des arbres et que la surface occupée par les vignes est facilement dix fois moins importante que dans le cas d’un système bocager. En tout cas, si la hauteur des haies est importante, peut-être au-delà de 4m, une ombre portée peut légèrement modifier le microclimat radiatif et aussi thermique en réduisant les brassages d’air (légère baisse des minimas nocturnes ; cf. étude du zonage du Muscat de Hambourg dans l’AOP Muscat du Ventoux).
La conséquence la plus visible est naturellement au niveau du paysage, où l’on passerait ainsi d’un modèle qui s’apparente majoritairement à ‘l’open field’ à celui du ‘bocage’. La figure 3 illustre l’environnement bocager ainsi créé. Sur le plan de l’impression ou de l’esthétique, il est difficile de prendre parti : l’aspect bocager tend à masquer un peu la présence habituelle de la vigne dans l’environnement, mais présente un côté que je qualifierais de ‘rassurant’ en montrant que la viticulture ne s’impose pas massivement mais cohabite harmonieusement avec une flore locale… A ce niveau la viticulture a besoin de paysagistes pour traduire de telles impressions !
Une autre réflexion doit aussi être conduite : de telles décisions sont-elles du ressort individuel au niveau de l’exploitation viticole, ou bien de nature collective au niveau du territoire ? Sur le plan de l’efficacité technique, nul doute que la démarche collective territoriale est à préconiser car la densité des auxiliaires n’en sera que favorisée. Cependant, tout se fait progressivement et l’amorce de tels changements ne peut se faire qu’au niveau de quelques vignobles phares. En tout cas, il faut réaliser que l’aspect bocager des vignobles procure un changement notoire qu’il faut au départ bien réfléchir et accepter (ou éventuellement rejeter), et ensuite qu’il faut valoriser au niveau de l’œnotourisme local. Ceci est du ressort du milieu professionnel viticole et de la politique territoriale.
Je termine par une anecdote dont j’ai été personnellement témoin il y a plusieurs années dans le Rio Grande do Sul et la région viticole de Bento Gonçalves. La pression de mildiou y est telle que les traitements à la bouillie bordelaise sont très nombreux, une vingtaine par an, ce qui procure une couleur bleutée aux feuillages des vignes conduites en Latadas (pergolas horizontales dont les angles sont parfois des arbres vivants) ou en Espalier (figure 4). Ainsi le paysage habituel est-il celui de coteaux garnis de vignes bleutées d’où émergent des houpiers verts de grands arbres. L’abus de cuivre ayant été démontré, le recours à d’autres produits plus efficaces que la bouillie bordelaise, amplement justifié sur le plan technique et environnemental, a changé l’aspect des vignes qui ont retrouvé leur couleur verte d’origine. Plusieurs plaintes d’habitants locaux et de touristes ont signalé ce changement et demandé le retour à l’aspect bleuté des vignobles, et certains fournisseurs de produits, au moins pour une période de transition, ont ajouté un colorant ad hoc à leur marchandise !
Tout ceci pour dire que beaucoup de gens sont attachés aux vignes de leur région et à leur aspect habituel. Un changement d’habitude doit être pris en compte, anticipé et expliqué. Le passage à un bocage viticole n’y échappera pas… Afin de nous en convaincre, je cite Marcel Proust :
« Le plaisir de l’habitude est souvent plus doux encore que celui de la nouveauté ».
(1) Alain Carbonneau et Jean-Louis Escudier sont co-auteurs de l’ouvrage « De l’oenologie à la viticulture »
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